20 octobre 2014

Aminata, l’autre Malala

Ce récit est celui d’Aminata, l’une des milliers de Malala anonymes que compte notre planète. Ah ! notre chère Malala, c’est ce qu’il convient d’appeler « avoir un grand destin ». Cela n’arrive pas tous les jours, moins encore à n’importe qui. Il faut être exceptionnel, être entre autres, Malala. Les talibans ont tenté de lui ravir la vie, sa jeune existence. A la place, c’est une adolescente engagée et déterminée qu’ils ont fabriquée. En effet, à peine dix-sept ans d’âge et déjà Prix Nobel de la Paix. C’est tout mérité, cette énième distinction car la situation des jeunes filles au Pakistan a bien besoin d’être relayée, d’être mise sous les feux des projecteurs. Je dirai même que la situation de la jeune fille tout court dans le Tiers Monde (utilise-t-on encore cette expression ?) en a besoin.

Si toutes ne vivent pas forcément l’avilissement des hommes enturbannés, les filles sous les tropiques connaissent également beaucoup d’affres : le viol massif dans les zones de conflits des Grands Lacs, la traite des enfants notamment des jeunes filles dans le Golfe de Guinée, etc… mais surtout le déni du droit à l’éducation qui maintient finalement la femme dans une situation de dépendance vis-à-vis de sa famille comme de la société. Il l’enferme dans un rôle économique et social défini sans elle et l’empêche de développer un esprit critique lui permettant de défendre ses droits.

Que l’on fasse mine de s’étonner de la grande inégalité entre homme et femme dans ces contrées, n’est que de l’hypocrisie. Sinon, quel épanouissement peut-on offrir aux femmes quand l’éducation qui est la base élémentaire et en même temps le fondement pour tout développement leur est refusée ? Jadis, plus systématique et cru,– cette citation bien connue : « Une fille à l’école, ça n’aboutira à rien » traduit parfaitement le phénomène – le maintien de la jeune fille et par ricochet de la femme sous la coupole de l’homme, qu’il soit son père, son frère, son mari, son camarade, bref l’hégémonie de l’homme a pris de nos jours des formes assez subtiles comme les surcharges de corvées ménagères, le retrait de l’école, l’envoi à l’apprentissage, le harcèlement, le maintien dans la prostitution, les mariages précoces et ou forcés, les brimades et autres violences conjugales, l’exposition volontaire aux maladies, la dépossession, les déshéritassions ou encore le placement comme domestique, bonne à tout faire dans des familles d’accueil. Ce dernier fait est très récurrent en Afrique et particulièrement sur la côte occidentale.

Alors que la scolarisation est obligatoire jusqu’à seize ans dans la plupart des Etats dont le Togo, il n’est pas rare de voir plusieurs fillettes être retirées des bancs de l’école et placées chez des tierces personnes qu’elles ne connaissent nulle part et qui se révèlent parfois d’une méchanceté inouïe à leurs égards, à la limite de la perversité. Mais quel est ce placement qui au lieu de générer des bénéfices, compromet quasi certainement l’avenir des jeunes filles, conduisant la majeur partie à la perdition totale ? Où les plus chanceuses deviennent maîtresses ou énième épouse d’un vieil homme polygame si elles ne s’en sortent avec des grossesses non désirées et souvent des enfants bâtards.

Mais cette vie misérable à laquelle elle était destinée, Aminata n’en veut pas et du haut de ses douze ans, elle l’a fait savoir. Elle n’a envie ni de la perdition de la première catégorie des domestiques ni des « fortunes diverses » des secondes. Elle a su avec beaucoup de finesse et détermination déjouer le « business indécent » auquel se sont livrés ses propres parents, le trafic vil auquel la tantine qui est venue la chercher dans son village natal à Kpédomé la poussait et l’exploitation abusive que tramait contre elle sa famille d’accueil à Lomé.

A chaque fois que cette tantine était arrivée à Kpédomé, un village de Notsé, elle-même située à peu près 100 kilomètres au nord de Lomé, la joie qu’engendraient les petits présents qu’elle ramenait de la capitale est de courte durée. Très vite, elle rentrait dans une discussion solennelle avec les parents et à la fin, un enfant, plutôt une fille repartait toujours avec elle. Etant encore la seule fille qui restait d’une famille qui compte dix-sept enfants dont huit filles, la dernière visite au village de la tantine a rendu très nerveuse Aminata au point de la faire piquer une de ces fortes fièvres. Cet excès de fièvre la sauva puisque la tantine est repartie sans elle. Mais en réalité ce n’était qu’un sursis, puisque dès qu’elle s’est sentie mieux, ses parents l’ont expédiée comme une lettre à la poste. Ils venaient de se débarrasser d’elle une seconde fois, elle qu’ils avaient il y a deux ans retiré des bancs de l’école au motif que pour une fille, elle avait assez fréquenté comme cela. A l’époque, elle passait au cours élémentaire deuxième année alors qu’elle venait à peine de souffler ses dix bougies. Deux bonnes années donc que Aminata était traumatisée à chaque fois qu’elle voyait aller à l’école ses anciennes camarades. Au lieu d’être au collège comme la plupart de ses amies, Aminata découvre pour la première fois Lomé.

Quarante-huit heures seulement qu’elle est débarquée et déjà elle est confiée à sa famille d’accueil qui recherchait d’urgence une bonne à tout faire. En prenant son poste, Aminata s’est rendue compte très vite qu’entre autres corvées, elle devrait s’occuper aussi de deux enfants qui venaient d’effectuer la nouvelle rentée scolaire dont l’aîné n’est son cadet à elle que de deux ans. Aminata a studieusement bouclé deux semaines de besogne à, d’une part déposer et aller chercher ses « protégés » à l’école et d’autre part une fois seule à la maison, – monsieur et madame vaquant eux aussi à leurs occupations – à faire bien d’autres tâches ménagères, qu’elle décida de poser ses nouvelles conditions. Elle exigea de ses employeurs qu’ils la mettent également à l’école. Ceux-ci surpris dans un premier temps, ont fini par céder sur l’intransigeance de la petite fille imposant à leur tour leur condition selon laquelle elle ne sera plus payée puisque son statut aurait désormais changé.

Mais au bout de trois jours, les deux parties ne sont pas parvenues à s’accorder, Aminata exigeant de continuer par être payé pour les autres travaux ménagers qu’elle fait. La tantine est appelée à la rescousse. Celle-ci ne trouvera pas meilleur argument que de menacer la fille de l’envoyer chez des « amis » à elle dans les plantations d’anacardes au nord du Bénin. Apparemment, la stratégie de la tantine a fonctionné puisque Aminata est revenue aussitôt à de meilleurs sentiments, acceptant les nouvelles conditions du couple et a repris ses études. Mais en réalité, c’était un repli tactique de la part de la jeune fille pour mieux préparer sa fugue car ses sorties pour aller au cours ont finalement servi également à ses démarches de reconnaissance des lieux. C’est ainsi, qu’elle a découvert à environ un kilomètre de sa maison d’accueil, un centre de prise en charge des « enfants abandonnés » chez les Sœurs de la Providence à Adétikopé où elle est parvenue à se faire accepter. Dorénavant, elle y est hébergée après que ses parents aient donné leur consentement et poursuit actuellement sa scolarité.

Pour la détermination et l’engagement d’Aminata, la comparaison avec Malala ne tient qu’à un fil. Mais elles sont plusieurs milliers de jeunes filles à travers le monde bien loin des feux des projecteurs à se battre au quotidien contre le destin que l’entourage tente de leur imposer. Toutes n’auront certainement pas la même reconnaissance que leur héroïne Malala, mais qu’elles reçoivent par le biais de ce billet mes vibrants hommages pour leur dévouement afin que leurs audaces inspirent leurs pairs.

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